Pourquoi je ne défends pas le rapport REDA?
Écrit par Jean-Marie CAVADA, publié dans Affaires Juridiques, Europe
Le projet de rapport de Mme Reda est malheureusement hors-sujet : il ne dit rien sur l’impact que la Directive 2001/29/CE concernant l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information a eu sur les secteurs de la création, et il ne propose ni une évaluation, ni une analyse pertinente de cette dernière.
Cependant, j’ai regardé sa proposition de rapport avec intérêt, et je dirais même que je suis tout à fait d’accord avec Mme Reda sur deux points : la nécessité de protéger les auteurs et celle de faciliter l’accès des usagers à un contenu culturel toujours plus varié et toujours plus étoffé.
Ce que je conteste principalement dans ce projet de rapport, ce sont les moyens que Mme Reda propose de mettre en place pour parvenir à cet objectif, moyens que je trouve contreproductifs et inappropriés.
Pour offrir aux usagers un meilleur accès au contenu culturel, il ne suffit pas de faire du droit d’auteur un catalogue d’exceptions et, par conséquent, de le vider de sa substance.
C’est certainement là que réside le principal écueil de ce projet de rapport : à trop vouloir défendre l’usager et son accès à la culture, on en oublie de protéger les créateurs, qui sont à la source de la diversité culturelle en Europe. Pourtant, si l’on prend un peu de recul pour réfléchir ensemble, on s’aperçoit vite que l’avenir de la diversité culturelle numérique lie les auteurs et les usagers de manière incontournable, car ils ont tous intérêt à ce que le potentiel du créateur soit protégé et valorisé pour faire perdurer une culture de qualité.
Voilà pourquoi il semble utile de rappeler que le droit d’auteur n’a pas vocation à être un obstacle à l’accessibilité d’une œuvre. Il est un outil indispensable à la richesse de la création, à la juste rémunération des créateurs et au respect de l’intégrité de leur œuvre. Et c’est cet équilibre qu’il faut à tout prix maintenir.
J’ai bien compris que Mme Reda ne souscrivait pas du tout à cette analyse, et je le regrette. A bien y réfléchir, je pense que tout est ici question de perspective : s’il est nécessaire d’adopter la perspective du consommateur, il est également indispensable d’adopter celle des acteurs-clés de la culture en Europe.
Sans trop entrer dans les détails, j’aimerais tout de même illustrer ce problème par exemple précis : le « Titre européen unique ». J’en suis convaincu, la mise en place d’un « Titre Européen Unique » ne simplifierait pas le droit d’auteur. D’une part, l’instauration d’un tel titre passerait nécessairement par une interprétation des législations nationales, puis par une unification de la CJUE, ce qui revient exactement à la situation actuelle. D’autre part, les multiples facettes prises par le droit d’auteur au niveau des législations nationales ne sont pas des anomalies juridiques mais plutôt le reflet de l’immense diversité culturelle et linguistique qui règne en Europe.
Par ailleurs, les propositions de Mme Reda sont contraires à bien des égards aux normes internationales en matière de droit d’auteur (Convention de Berne, Traités OMPI etc…), normes qui, je le rappelle, ont pour objet de protéger la création et les créateurs.
Si certaines des propositions contenues dans ce projet de rapport devaient voir le jour, nous deviendrions le continent qui réduirait le plus drastiquement le niveau de protection des auteurs alors qu’on l’augmente ailleurs, aux États-Unis notamment.
L’industrie culturelle européenne est non seulement essentielle pour le rayonnement et la compétitivité de l’Europe dans le monde, mais surtout, elle emploie et nourrit plus de 7 millions d’européens aujourd’hui.
J’ai bien conscience que ce document n’est pas le fruit d’un manque de travail ou de discernement, mais bien un positionnement politique, qui à n’en pas douter, risque de mettre à mal l’ensemble du secteur culturel et de porter un grave préjudice aux usagers qui souhaitent avant tout continuer de bénéficier de la diversité et la qualité des contenus culturels.
Je proposerai bien entendu des amendements à Mme Reda, et j’espère pouvoir collaborer avec elle de façon constructive à la consolidation de son projet de rapport.
Vous écrivez « Voilà pourquoi il semble utile de rappeler que le droit d’auteur n’a pas vocation à être un obstacle à l’accessibilité d’une œuvre. » Certes, cependant il l’est le plus souvent, et cela depuis une vingtaine d’année. Aujourd’hui, les solutions les plus efficaces pour accéder aux contenus restent en grande majorité illégales…. Et lorsqu’elles ne le sont pas, nous sommes tout simplement face à des quasi monopoles de diffusion privés. Cette situation semble bien être symptomatique du fait que le problème a été mal abordé.