Intervention sur le droit d’auteur dans l’économie et la société numérique
Écrit par Jean-Marie CAVADA, publié dans Affaires Juridiques
Jean-Marie Cavada est intervenu à la suite de la présentation par M. Sirinelli de son rapport sur « la révision de la directive 2001/29/CE sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information», lors d’un séminaire organisé par la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne sur le droit d’auteur dans l’économie et la société numérique.
Monsieur l’Ambassadeur, Cher Pierre Sellal,
Mesdames, Messieurs, Chers Collègues,
Je félicite tout d’abord Monsieur Sirinelli pour la qualité du travail qu’il a accompli. Son analyse qui vise à ne pas fragiliser la garantie des droits et la rémunération de la création, va tout à fait dans le sens de ce que je soutiens depuis toujours pour la préservation de l’économie de la création, de l’innovation et la diversité culturelle.
L’arrivée du numérique nous oblige tous à penser différemment, mais la multiplication des possibilités de contournement de la propriété intellectuelle dans ce domaine nous conduit à un examen d’un point de vue plus économique du secteur culturel et créatif. Les résultats d’une récente étude de l’Institut Ernst & Young sont tout à fait éloquents en la matière : le secteur représente 536 milliards d’euros de chiffre d’affaire, plus de 7 millions d’emplois. Il est à souligner que ce secteur est le troisième plus grand employeur en Europe puisqu’il emploie 6 fois plus de personnes que l’industrie des télécommunications en Europe.
Le droit d’auteur qui est la principale source de revenu des créateurs est le pilier des industries culturelles et créatives, et il reste le principal atout de l’identité européenne
Je considère, comme Pierre Sirinelli que les directives européennes ont déjà harmonisé ce droit et même si chaque Etat membre conserve ses propres particularités, un socle commun a été construit grâce à un acquis communautaire solide qui conserve toute sa pertinence.
Il n’est donc pas utile aujourd’hui de modifier le droit d’auteur pour réguler le marché unique du numérique, les solutions à apporter aux difficultés de fonctionnement de ce marché doivent être recherchées ailleurs que dans le droit européen et le groupe de travail sur ce thème que je préside va s’y attacher durant ces prochains mois.
Les difficultés de fonctionnement du marché unique doivent être repensées à la lumière d’un statut des hébergeurs. Cette question de leur responsabilité ne peut pas être écartée, c’est une question de la loyauté de l’ensemble des intermédiaires qui doit être posée que ce soient les hébergeurs ou les moteurs de recherche. La lutte contre les contenus illicites doit impliquer l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur. C’est notre responsabilité commune.
Je vous remercie
Il y a un problème concernant le mode de rémunération des « artistes-auteurs » dans un pays comme la France. En effet, la majorité des éditeurs proposent à leurs « auteurs » des contrats d’édition, rémunérés en (avances de) droits d’auteurs – les avances sont dites non récupérables. En fait, à partir du moment où il y a une commande, et que l’éditeur intervient dans un vrai processus décisionnel, avec de multiples intermédiaires (prestataires, clients finaux – parfois des collectivités locales, des coéditeurs, etc.) dans le choix des illustrations, des textes, cela pourrait être considéré comme du travail salarié à distance, dissimulé, à dessein ou inconsciemment. Des auteurs qui sont « choisis » ou « embauchés » pour réaliser des « créations » qui ne sont pas les leurs, mais qui sont dictées par les éditeurs ou directeurs artistiques, éditoriaux, ne devraient pas être rémunérés en droits d’auteurs, mais bien en facturant comme des travailleurs indépendants dans le domaine du graphisme, de la création de contenus, de piges, ou autre. Il y a un vide juridique dans tout ceci, que la France (et la Belgique) exploitent. Les livres restant au minimum trois mois dans une librairie, pas toujours en évidence, la vente sur le long terme des ouvrages est réduite à peau de chagrin, et l’espérance d’une rémunération sur des droits d’auteurs l’est tout autant. Il faut de toute évidence :
1) soit repenser le système de rémunération des auteurs, en effectuant une enquête parlementaire sur les différents intervenants de la chaîne du livre, et en analysant, par exemple, les fameux contrats d’éditions et leurs obligations, parfois à la limite de la légalité – puisque oscillant entre le contrat d’édition et le contrat de travail ;
2) soit revoir entièrement la notion d’artiste-auteur, en obligeant les éditeurs à distinguer les authentiques créateurs, qui proposent des créations issus de leur esprit, et ceux qu’ils « embauchent » en leur dictant des projets bien précis, que lesdits créateurs n’auraient jamais proposés de leur propre initiative.